Nous considérons que le bouc émissaire est un phénomène inévitable dont les effets ne sont pas inéluctables.
Voici ce que nous entendons par là :
Le phénomène du bouc émissaire est inévitable : ceci est une hypothèse devenue une certitude depuis que nous l’étudions. D’abord, il y a le sens commun, ou plutôt le bon sens. Ensuite, il y a tous les témoignages. Enfin, il y a l’histoire et les théories.
Il ne s’agit pas ici de théoriser le sens commun, ce n’est ni le lieu ni l’objet de notre travail. Néanmoins, en tant que source d’inspiration empirique de notre approche, nous devons aborder sa fiabilité. Nous avons appris que lorsqu’il est question de construire des théories, il convient de le mettre à distance. Pourtant, « l’action et la pensée me paraissent avoir une source commune, qui n’est ni pure volonté, ni pure intelligence, et cette source est le bon sens. Le bon sens n’est-il pas, en effet, ce qui donne à l’action son caractère raisonnable, et à la pensée son caractère pratique ? » Henri Bergson (Le bon sens et les études classiques, p.88-9). Le bon sens, fondé sur la capacité à discerner le vrai du faux, devient avec Descartes dans son discours de la méthode, synonyme de raison.
Il en est de même des témoignages, le plus souvent directs que nous recueillons depuis maintenant de longues années. Certes le bouc émissaire est notre grille de lecture et, à ce titre, elle s’applique aux situations, et nous l’appliquons à toutes le situations. De fait, en s’appliquant aux situations elle peut créer le phénomène. Nous diront plutôt qu’elle l’éclaire voire le révèle, y compris lorsqu’il n’est qu’en germe.
Il en est enfin de l’histoire et des théories.
Nous pensons d’abord à l’Ancien Testament, dans son livre le Lévitique, au chapitre XVI, plus particulièrement les versets 20 à 22. Les sources historiques, notamment celles recherchées par Adrian Schenker dans son introduction à l’Ancien Testament (p.276), indiquent que la compilation finale de ces textes, difficiles à dater, remonterait à la fin du Ve siècle avant J.-C. Le rite, qui se déroulait tous les ans à date fixe, le dixième jour du septième mois (Lv, 16, 29), dans une purification de tous les péchés (Lv, 16, 30), dans le cadre d’une loi immuable à statut perpétuel (Lv, 16, 31), montre l’importance et la permanence du phénomène.
Nous pensons à James George Frazer, bouc émissaire, l’anthropologue anglais, et à son livre qu’il a intitulé « le bouc émissaire, histoire comparée d’histoire des religions » (1925) que l’on trouve en livre V de sa somme Le Rameau d’Or. C’est une thèse, celle que l’homme peut se délivrer du mal, de la souffrance qu’il éprouve en les transférant par des opérations purement matérielles soit à des objets inanimés tels que des pierres et des bâtons soit à des animaux, soit à d’autres hommes.
Nous pensons à René Girard et à l’intuition de sa vie, exposée dans l’ensemble de a vaste œuvre.
Comme nous l’évoquions plus haut, le bouc émissaire comme phénomène inévitable est une hypothèse. En voici une autre. Même si l’hypothèse n’était pas vérifiée, le détour qu’elle nous a invitée à effectuer nous a fait réfléchir profondément, tant en amont que pendant et en aval, sur les processus de discrimination, de stigmatisation, d’exclusion voire de victimisation. A cet égard, les éléments de réflexion tant sur les causes que sur le développement et les réponses du phénomène dépassent très largement le phénomène lui-même.
Ajoutons : le phénomène est inévitable en tant que processus, que mécanisme, que dynamique. Les ingrédients à partir desquels vont se développent les 7 phases du cycle de même que les 3 moments de la construction de la figure du bouc émissaire sont présents. Mais cela ne signifie pas que le cycle ira à son terme ; cela ne signifie pas que la figure du bouc émissaire émergera et encore moins qu’elle la personne désignée sera exclue. C’est même tout l’objet de nos travaux que d’essayer d’enrayer le cycle jusqu’à, pourquoi pas, son extinction.
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