A propos des signes victimaires…

boss-2206_640-1Le phénomène du bouc émissaire connait quelques moments clés. Le passage de signes distinctifs à signes victimaires en est un qu’il faut absolument comprendre et surtout ne pas négliger. Nous affirmons même que dans une logique de prévention, il mérite de devenir un point d’extrême vigilance.

Ce qu’il s’agit de comprendre, c’est que chacun -individu, groupe social, institution, entreprise etc.- est porteur de signes qui le distinguent des autres. Par exemple, on distingue, selon des critères plus ou moins partagés, les hommes des femmes, les jeunes des vieux, les valides des handicapés, le magistrat du policier, le PDG de l’employé, le professionnel de l’usager, le politique du fonctionnaire, l’Éducation Nationale de la Justice, Renault de Peugeot, la France de l’Allemagne, l’Europe de l’Asie etc. Bien souvent, ces signes sont neutres, et le demeurent. Parfois, ces signes deviennent des signes positifs. On valorise alors les qualités de tels ou tels en fonction de ce qui les distingue d’autres à qui on pense pouvoir les comparer.

Parfois, ils deviennent, hélas, des signes négatifs. La discrimination, -cette opération mentale fondamentale qui permet de ne pas confondre les éléments d’un système, de les différencier selon leur nature, de les distinguer – n’est alors plus neutre ni positive, elle devient négative.

A un moment de la vie personnelle, sociale, professionnelle, etc., des signes distinctifs, de simples signes distinctifs, c’est à dire les signes qui nous distinguent les uns des autres peuvent devenir des signes victimaires, c’est à dire des signes qui vont autoriser à justifier une discrimination négative, une stigmatisation, une mise à l’écart, une exclusion, une expulsion voire une persécution à venir.

Les signes distinctifs existent, préexistent à toute rencontre. Ils renvoient certes à ce que le futur bouc émissaire est, mais plus encore à ce que les autres croient qu’il est, ou, encore plus complexe, à ce qu’ils croient des effets de ce dont il est porteur. A ce titre, il existe toute une construction préalable de l’Autre fondée sur les représentations. Comment est-ce que je me représente celui que je vais rencontrer ? Qu’est ce que je crois savoir de lui ? Qu’est que je sais réellement de lui et qu’est ce cela provoque en moi ? Du positif, du négatif, de l’indifférence ?

Ainsi on le voit, ces signes distinctifs d’avant la rencontre en situation renvoient au champ des préjugés. On a des préjugés, c’est à dire qu’on juge avant de rencontrer l’autre.

Chacun, dans la rencontre, doit savoir qu’il est producteur de préjugés sur les autres mais les autres produisent également des préjugés sur lui. Ainsi, le processus du bouc émissaire, incarné dans une figure, est déjà à l’œuvre avant même la rencontre.

Mais tout n’est pas déterminé.

La réalité des interactions en situation va transformer les représentations initiales. Elle va créer de nouveaux signes distinctifs, positifs ou négatifs en fonction des épreuves, des obstacles à surmonter. D’une certaine manière, les représentations préalables ne résisteront pas à la réalité. Mais pour autant c’est parfois l’inverse qui se produit : la réalité ne parvient pas à modifier certains préjugés tellement ils sont ancrés. Parfois même la réalité conforte les préjugés, soit que les préjugés étaient fondés, soit que l’on sélectionne dans la réalité des éléments de validation des préjugés.

Le bouc émissaire, innocent aux antagonismes réels et à ce que nous appelons aussi les tabous du groupe, ne l’est pas aux signes distinctifs dont il est porteur ; il ne l’est pas non plus aux signes distinctifs victimaires qu’on lui attribue à tort ou à raison.

Le bouc émissaire, au sein d’un groupe, sera celui qui portera suffisamment de signes victimaires pour permettre au groupe de ne pas imploser. Selon nos définitions, cela opèrera par l’exclusion de celui qui sera ainsi désigné. Et cette exclusion autorisera la réconciliation du groupe.