Sacrifice de soi, sacrifice de l’autre : la force de la dette

Sacrifice de soi, sacrifice de l’autre : la force de la dette,

un article de Camille TAROT,

publié dans la Revue du MAUSS,

dans le volume 55, no. 1,
en 2020, de la page 85 à la page 92.

Camille Tarot ouvre une discussion : « L’article veut montrer que le sacrifice mésoaméricain ne déroge pas à l’hypothèse durkheimienne et girardienne de l’origine sociale des pratiques et des croyances religieuses, que donc l’hétérosacrifice précède l’autosacrifice et qu’il n’y a pas de dette si elle n’est précédée par le don venu des autres ou de la collectivité, condition nécessaire mais non suffisante. »

L’article de Camille Tarot commence ainsi :

Les rapports de l’autosacrifice, le sacrifice de soi, avec les systèmes de sacrifice de l’autre se posent en termes théoriques d’antériorité et aussi comme problème pratique : peut-on voir un lien entre la radicalisation et l’autosacrifice quand elle va jusqu’à la mort de soi, et avec le sacrifice quand elle va jusqu’à la mise à mort de l’autre ?

L’article de Camille Tarot se termine ainsi :

Où l’on retrouve le problème de la dette des djihadistes convertis qui deviennent terroristes. Ils tendent, comme tout converti, à concentrer une dette totale et exclusive sur l’objet de leur conversion et à désinvestir d’autant ou même à nier les autres dettes à l’égard du reste (famille, démocratie, République ou France). Cette coexistence dans la même personne d’une dette absolue à l’égard d’une version vengeresse d’une religion qui prend la relève des révolutions, avec un rapport nihiliste à l’Autre, suffit à expliquer le passage à l’acte et à des formes régressives du sacrifice de l’autre et du sacrifice de soi.

On trouve notamment dans l’article de Camille Tarot :

Le sacrifice, en son noyau dur, est une pratique qui subordonne la conjonction ou la relation à une disjonction ou une expulsion préalable. La victime est-elle un substitut du sacrifiant ? Oui, dans la mesure où il se pense comme un acteur individuel, mais pas là où le sacrifiant est le groupe. En fait, la victime est un substitut de bouc émissaire, on le voit aux nombreux sévices qui précèdent la mort du captif et dans le repas anthropophagique qui suit, et cela s’inscrit dans le noyau dur du rite sacrificiel qui opère la conjonction d’un groupe d’hommes par la médiation d’une victime qu’il a commencé par expulser ou tuer avant de la réincorporer.

On trouve également dans l’article de Camille Tarot :

Les premiers hommes qui se sont autosacrifiés furent les rois d’abord, soucieux d’intérioriser leur condition de boucs émissaires gardés vivants et qu’on garde vivants tant qu’ils donnent ce qu’ils donneraient morts : assurer la paix publique, protéger la terre, tenir à distance les ennemis, les maladies et les fléaux, assurer la fécondité et la fertilité. Puis ces pratiques ont gagné les reines et surtout les prêtres, avant d’avoir été « démocratisées » par l’autosacrifice assisté des enfants. Mais c’est dans des milieux sacerdotaux que l’autosacrifice calqué sur celui des dieux est devenu une idéologie propre à faire du clergé un corps de virtuoses capables de rivaliser avec le roi.