La naissance du totalitarisme chez Hannah Arendt, Dominique LAROCHELLE

La naissance du totalitarisme chez Hannah Arendt

Dominique LAROCHELLE,

Université de Laval, 2012.

page 7, l’auteur écrit : « Le premier chapitre de ce mémoire est intitulé L’Antisémitisme à l’image du premier tome des Origines du totalitarisme. Pour Arendt, il n’est pas question de discuter la haine du Juif une et éternelle, car elle n’y croit tout simplement pas comme elle le laisse clairement voir à travers son livre Rahel Varnhagen ou dans son refus d’agréer au concept de bouc-émissaire comme l’explique bien Anne Amiel :
Le refus de la théorie du bouc émissaire signifie le refus conjoint de la causalité et de la contingence en histoire. Il existe des raisons intelligibles mais aucune nécessité de l’importance de l’antisémitisme, et la seule conséquence directe en est non pas le nazisme, mais le sionisme. Le refus de l’antisémitisme éternel sert à la défense et illustration de la responsabilité politique.6 (6 Anne Amiel, Hannah Arendt. Politique et événement, p.13).

elle poursuit page 42 : C’est la police secrète russe qui a créé un faux qui fit le plus légende : Le Protocole des sages de Sion. Les sociétés secrètes, supposées ou réelles, ne reçurent jamais autant d’attention que les Juifs. Ce qui spécifie la communauté juive, quant à son image, se trouve dans un autre pan de l’histoire. Il s’agit de la tragédie dont elle a été victime, l’holocauste. Après ces événements, la communauté juive européenne nous a parfois laissé l’image de victimes parfaitement innocentes. Autrement dit, certains ont pu croire que les Juifs avaient été les bouc-émissaires de la mégalomanie des antisémites.

et à la même page : Cette théorie du bouc émissaire, Hannah Arendt ne l’a jamais soutenue et elle s’évertua plutôt à la combattre parce qu’elle présente trop de failles. En fait, ce problème ne concerne pas uniquement les antisémites. Ces derniers et les Juifs peuvent tous deux être considérés comme partiellement responsables en ce que tous deux agissent dans leur société. Pourquoi les abstiendrait-on alors d’être tenus responsables de ce qu’ils ont fait? Le problème commence avec leur attitude devant la situation. Hannah Arendt croit que les antisémites tout comme les Juifs fuient devant la réalité… ou autrement dit, devant leurs responsabilités. Pour comprendre réellement l’avènement des régimes totalitaires, nous nous devons de saisir comment, les nazis en sont venus à choisir les Juifs comme victimes.
page 43, elle analyse la situation de la façon suivante : « La question que l’on pose alors est : pourquoi les Juifs? Avant de répondre à cette question, il faut avoir présent à l’esprit quelque chose de vital et qui concerne le choix des victimes. Hannah Arendt ne pense qu’il est possible de choisir comme bon nous semble des proies pour la bonne et simple raison qu’autrement, les gens ne suivraient pas. Autrement dit, même si on a une populace organisée, une propagande efficace, un goût pour les théories du complot et une méconnaissance de certaines communautés, un chef populiste doit choisir une victime réaliste, une victime dont les gens peuvent être témoins de l’existence et de l’activité. C’est d’ailleurs cette idée d’innocence parfaite des Juifs qui pousse Hannah Arendt à rejeter le recours à la théorie du bouc-émissaire :

                                                      Cette théorie qui présente les Juifs comme d’éternels boucs émissaires implique que le bouc émissaire aurait pu être tout aussi bien n’importe qui d’autre. Elle suppose l’innocence parfaite de la victime, une innocence telle que non seulement la victime n’a causé aucun tort mais encore qu’elle n’a rien fait qui ait le moindre rapport avec le problème en jeu. La théorie du bouc émissaire, sous sa forme absolument arbitraire, n’apparaît, il est vrai dans aucun ouvrage.38 (38, Ibid., p.222.)

Pour Hannah Arendt, il semble évident que l’on n’aurait pas pu accuser n’importe qui d’autre. Aurait-on pensé à accuser les francs-maçons ou les clubs privés de la haute société londonienne? Le choix des Juifs paraît clair quand on y pense dans un certain contexte. Leur diaspora faisait d’eux un élément international sur lequel les antisémites de plusieurs pays pouvaient compter. De plus, ils avaient traditionnellement entretenu des liens privilégiés avec les différentes cours européennes, ce qui les avait rendus riches. Toutefois, cette position de choix avait été ébranlée au cours du XIXe siècle. Certaines portes furent fermées mais d’autres s’ouvrirent. Tout cela concerne l’évolution de la société. Comprendre ces transformations sociologiques est une chose et comprendre les changements culturels nous aide aussi à saisir la mentalité des Juifs, des antisémites, des régimes totalitaires et des autres groupes humains. »

 

 

Le texte dans sa totalité : ici

(www.theses.ulaval.ca/2012/28488/28488.pdf)