Le cadre théorique de l’histoire comme support de la compréhension du bouc émissaire.
Le cas des travailleurs chinois durant la Grande Guerre
une contribution rédigée par Chantal Dhennin
dans le chapitre Bouc émissaire, la rencontre entre anthropologie et histoire,
chapitre 9 du livre Bouc émissaire : le concept en contextes, dirigé par Rémi CASANOVA et Françoise-Marie NOGUES,
publié aux PUS, en novembre 2018
Le texte commence par ceci :
« Alors que l’histoire s’appuie sur de nombreuses autres sciences pour développer ses concepts liés à sa recherche sur la vie des populations, il apparaît que rarement l’ethnologie, l’anthropologie et la sociologie sont appelées comme contributrices de l’histoire sur un type d’étude aussi particulière que le bouc émissaire.
L’histoire est présente sur les expulsions, les camps d’internement, les pogroms et autres exterminations massives des peuples ou des individus. Ainsi toutes sortes de mises à l’écart sont exposées : l’éviction économique par la pauvreté, l’exclusion produite par la famille, l’immigration, la pratique territoriale de la ségrégation, par exemple. Mis en perspective par Michel Foucault (1966), ces nouveaux objets d’étude sont désormais majeurs. Des ouvrages importants existent, comme ceux de l’anthropologue écossais Sir James George Frazer (1854-1941) qui étudie les actes rituels et religieux du quotidien, et en particulier le bouc émissaire (1926). Ou encore ceux d’Emmanuel Leroy-Ladurie lequel analyse les phénomènes provoquant les dérèglements de notre société (2014). »
et se termine par ceci :
« Ces sujets de réflexion amènent au constat que les mécanismes de régulation des relations interindividuelles et sociales trouvent un apaisement momentané par l’expulsion du bouc émissaire, mais que la réconciliation obtenue par cette exclusion est éphémère. Alors d’autres boucs émissaires se profilent toujours et encore afin de répondre aux violences des sociétés entre elles et des individus entre eux..»
On y trouve notamment :
« Du côté des Chinois, les travailleurs y sont comptés avec précision : ils sont 350 qui « pillent, volent, saccagent tout ». Du côté de la localité, les termes sont vagues et génériques : on parle de « la commune de Salomé » pour signifier l’unanimité de la réprobation. La présence des Chinois, considérés comme prédateurs, est le meilleur alibi pour reconstituer le groupe « village » afin de créer un sentiment collectif unissant, par l’aversion contre un ennemi commun »
(…)
« Supposant que l’exclusion rituelle et sacrificielle des Chinois ait reposé sur de réels griefs, et que ceux-ci se trouvant disparus après que ces supposés prédateurs ont été éloignés, le dénouement symbolique aurait coïncidé avec une réelle substitution. »
(…)
« L’attitude des travailleurs chinois, mal tolérée, donne prise à leur critique constante. Les meneurs sont écartés et mis en prison durant un an, voire trois ans, pourtant les heurts se poursuivent. L’accablement vis-à-vis de l’étranger chinois, qui devait recréer du lien social, n’est que temporaire parmi les déshérités de la Grande Guerre. Leur union au détriment des Chinois n’a pas duré. Cette posture des Chinois stéréotypés les accable. »
(…)
Chantal Dhennin
Chantal Dhennin est professeure agrégée en Histoire et docteure à l’Université de Lille, au laboratoire HLLI de l’ULCO. Sa thèse « Vivre, survivre, revivre sur la ligne du front. Illies et le canton de La Bassée durant la Grande Guerre » introduit une façon originale de penser le bouc émissaire.