Définitions du bouc émissaire, avec quelques explications

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Voici quelques définitions du phénomène du bouc émissaire, tel que nous l’envisageons. Elles se complètent bien souvent ; elles regardent le phénomène sous différents angles ; sur le fond, elles se rejoignent.

Nous évoquons d’abord la figure du bouc émissaire ; nous évoquons ensuite le phénomène du bouc émissaire.

Voir une vidéo explicative :

A) La figure du bouc émissaire

Définitions du bouc émissaire, avec quelques explications Jongen_S216a_Bouc_émissaire-_Scapegoat

Le bouc émissaire subit une pluralité d’accusations Jongen S216a Bouc émissaire- Scapegoat

Voici la définition que nous proposons du bouc émissaire, dès lors qu’il s’incarne. Ce qui est avéré pour une personne l’est également pour les groupes sociaux ou les institutions :

« Est bouc émissaire celui qui, au prix de son exclusion, est l’instrument de la réconciliation des membres du groupe »,

ou, inversant l’ordre des éléments,

« Est bouc émissaire celui qui, instrument de la réconciliation des membres du groupe, est exclu« .

 C’est un processus en trois étapes qui se développe autour de celui qui deviendra le bouc émissaire :

discrimination – stigmatisation – exclusion

C’est un processus qui affaiblit la victime… redisons avec vigueur : le bouc émissaire n’est pas faible, il est affaibli !

Dans un premier temps, l’opération mentale, sociale, culturelle et psychologique de discrimination se développe. Chacun distingue, différencie, catégorise, classe les autres en fonction de critères qui lui appartiennent mais qui sont en grande partie partagés par la majorité des membres du groupe. De fait, certains membres du groupe se trouvent plus ou moins isolés, plus ou moins aux marges du groupe.

Puis l’attribution d’effets négatifs à la discrimination amène la stigmatisation. Certaines catégories, certaines différences vont se voir attribuer pour des raisons justes ou fallacieuses, des valeurs négatives porteuses de rejet. A travers cette désignation, l’occultation de sujets douloureux à aborder est rendue possible. La désignation collective marque la possible exclusion du groupe.

Enfin, la stigmatisation favorise puis autorise l’exclusion dès lors que celle-ci apparaît comme un gage de meilleure santé à venir du groupe. C’est lorsque la stigmatisation est portée par suffisamment de membres du groupe – souvent sur des registres variés-, que l’exclusion devient collective et relève du phénomène du bouc émissaire.

Mais attention : le bouc émissaire, phénomène collectif, doit de surcroît permettre la réconciliation du groupe par la substitution. Ainsi, si l’exclu n’est pas l’instrument de la réconciliation d’une part, s’il n’évite pas au groupe la confrontation à ses tabous ou ses antagonismes réels d’autre part, l’exclu n’est pas le bouc émissaire. Deux questions sont alors indissociables  : en quoi le bouc émissaire réconcilie-t-il le groupe ? De quoi est-il exclu ?

B) Le phénomène du bouc émissaire

1) Le phénomène du bouc émissaire est un processus de réconciliation collective fondé sur la transposition, l’exclusion et la substitution.

Cette définition aborde le phénomène par sa finalité, son objectif. Le bouc émissaire est un processus, c’est à dire une construction, qui vise à réconcilier les membres du groupe. En creux, c’est l’idée que la discorde, les conflits, les problèmes sont partie intégrante des phénomènes de groupe. Ces problèmes, nous les nommons « antagonismes réels » ou, pour davantage de clarté, « tabous« . C’est l’idée également que le groupe va chercher à se réconcilier plutôt qu’à s’entre déchirer, exploser (ou imploser) et disparaître ; il va tenter de perdurer, au-delà des problèmes auxquels il va être confronté, du fait même qu’il est constitué en groupe.  Ces problèmes sont tellement périlleux pour le groupe que celui-ci ne va pas les aborder frontalement. Il va les différer, à la fois dans le temps (c’est le processus), dans l’espace (c’est l’exclusion) et selon les modalités (la transposition et la substitution). C’est ainsi que processus du bouc émissaire se développe en sept étapes (phase apaisée ; phase d’apparition de problèmes ; phase de recherche ; phase de désignation ; phase d’emballement ; phase de dénouement ; phase d’apaisement).

Enfin, mais c’est peut-être le plus important pour commencer, il s’agit bien d’un phénomène collectif. Le collectif, quelle que soit la dénomination qu’il prenne, est le support indispensable au phénomène du bouc émissaire : pas de groupe, pas de bouc émissaire. Il s’agit de l’affirmer et de le répéter car c’est ce qui, in fine, spécifie le bouc émissaire par rapport à d’autres processus très proches de substitution (la tête de Turc) ou plus éloignés de perversion de la relation et de persécution (le souffre douleur).

2) Processus de réconciliation dont la modalité est l’exclusion et le mobile la rivalité mimétique.

A travers les termes de rivalité mimétique,  notre définition insiste sur le fait qu’au sein d’un groupe, les individus finissent toujours (parfois, ils le sont dès le début), consciemment ou non, intentionnellement ou non, de façon déclarée ou tue, sourde ou brutale, par être des concurrents sur des objets là encore conscients ou non. Cette rivalité, selon René Girard, est liée au désir mimétique. Sa conception du désir est originale, différente de celles qui ont cours au moment où il la repère, en étudiant les œuvres romanesques (Mensonge romantique, vérité romanesque, ed. Grasset, 1961 ; DostoÏevski : du double à l’unité, Plon, 1963) :  » René Girard repère un mécanisme du désir humain tout à fait différent. Celui-ci ne se fixerait pas de façon autonome selon une trajectoire linéaire : sujet – objet, mais par imitation du désir d’un autre selon un schéma triangulaire : sujet – modèle – objet. »

Beaucoup se sont détournés de l’idée même de rivalité mimétique du fait même de l’approche girardienne du désir, considérée comme iconoclaste. Alors nous proposons de déplacer le désir mimétique au niveau des besoins mimétiques : au sein du groupe, nous avons les mêmes besoins, d’abord primaires, mais aussi plus sophistiqués. A partir de là, pour certains au moins, la concurrence naît dès lors que la rareté de satisfaction des besoins apparaît.Définitions du bouc émissaire, avec quelques explications

 3) Le bouc émissaire est un processus mécanique et cyclique.

Il aboutit à la désignation puis au sacrifice réel ou symbolique d’une victime de substitution aux problèmes[1] réels et fondamentaux du groupe. Le bouc émissaire permet, par son exclusion plus ou moins ritualisée, une réconciliation momentanée du groupe en attirant sur lui une violence suffisamment forte et unanime. Porteur de signes distinctifs victimaires, il permet, souvent, l’expiation de fautes indicibles.

A cet égard, le processus décrit est un rite, au sens où sa vocation consiste, d’abord, à refaire la crise. Non pas pour se précipiter vers la catastrophe, mais pour l’éviter par la substitution d’une part, la symbolisation et le sacrifice d’autre part. En cela, nous sommes en accord avec la pensée de René Girard (la violence et le sacré, 1972).

4) Le bouc émissaire est un processus de réconciliation momentanée collective et de préservation des tabous par l’exclusion et la substitution.

 Oui ! les tabous, in fine, méritent de figurer dans la définition car nous pensons, comme cela est développé ici (à partir de la page 16), que la préservation des tabous est la finalité ultime du phénomène.

[1] Antagonismes et rivalités.