Bouc émissaire, le concept en contextes, Sylvain Louet, l’auto-accusation du Juif réprouvé chez Georges Méliès

Le bouc émissaire et le motif du transfert.

l’auto-accusation du Juif réprouvé chez Georges Méliès (1904-1905)

une contribution rédigée par Sylvain Louet

dans le chapitre « Les stéréotypes au cœur de la construction du bouc émissaire ? »,

chapitre 7 du livre Bouc émissaire : le concept en contextes, dirigé par Rémi CASANOVA et  Françoise-Marie NOGUES,

publié aux PUS, en novembre 2018

 

Le texte commence par ceci :

« Le motif du transfert, qui est au cœur de la notion de bouc émissaire, en souligne l’ambivalence. Ainsi, le pharmakos grec était un poison qui, par transfert, devenait un remède. Nourri et entretenu par la cité antique, le pharmakos était aussi une victime expiatoire, battu, expulsé, sacrifié pour purifier la cité d’une infection, grâce au transfert en lui de la souffrance, du mal et des péchés, par le truchement d’un rituel qui mimait une crise, une décision purgative et une résolution. Le motif du transfert est doublement consubstantiel à la notion : non seulement le bouc émissaire est l’objet d’un sacrifice de substitution (de l’individu à la collectivité) mais il s’agit ainsi d’éloigner les esprits malfaisants que certains supposent incarnés dans des êtres vivants. » 

et se termine par ceci :

« De telles figurations font de l’expulsion un spectacle qui opère un transfert de l’accusation à l’auto-accusation, invitant les communautés (peut-être aussi celle des spectateurs) à ne pas se sentir coupables du rejet du bouc émissaire, de son isolement et de sa stigmatisation, tout en identifiant en lui l’exutoire votif de la concurrence et des angoisses des hommes .»

 

 

On y trouve notamment :

« Dans leur principe général, ces visions ont une double fonction : d’une part, à travers elles, le Juif errant est censé être reconnu comme coupable par les spectateurs réels ; d’autre part, elles font du Juif errant le sujet de sa propre condamnation puisque c’est sa conscience tourmentée qui les produit. »

 

« Le film est ainsi une allégorie de la désignation du bouc émissaire et de son auto-accusation qui combine la représentation comme remplacement et la représentation comme image mentale : au désir masculin de voir une belle femme, qui s’incarne successivement, se substituent l’angoisse et le désir de voir une mise à mort. »

 

« Chez Méliès, les images qui participent de l’expulsion du bouc émissaire énoncent donc des désirs qui sont censés ressortir à l’horrifique quand ils sont déployés sur la place publique. »

                                                                                          

 Livre Bouc émissaire, le concept en contextes, la présentation du texte de Sylvain Louet : ICI

Sylvain Louet

Agrégé de lettres modernes, doctorant en études cinématographiques (La jurisfiction cinématographique, sous la direction de M. Cerisuelo, Marne-la-vallée, LISAA EA 4120), membre du jury de l’Éducation nationale à Cannes, Sylvain Louet a contribué à de nombreux colloques et publications, notamment La spécularité de la culpabilité : une expérience métaphysique du temps et du scepticisme dans The Wrong Man in Antoine Dechêne, Michel Delville (dir.).