Nathan Tobie, « Leurrer les dieux… Mais comment faire ?

Leurrer les dieux… Mais comment faire ? Quelques réflexions ethnopsychanalytiques sur le sacrifice du bouc émissaire

Un article de Tobie NathanPardès 1/2002 (N° 32-33) , p. 147-161

Couverture de la revue Pardès intitulée La Bible et l'Autre

 

Le texte commence par ceci : « Je ne suis en aucune manière un théologien, même pas un homme religieux, mais un psychopathologiste que son travail clinique en banlieue parisienne, auprès de populations immigrées, a amené à s’intéresser à un certain nombre de notions qui touchent également aux phénomènes religieux. Je vais d’abord m’expliquer sur une prémisse de ma pratique clinique que l’on pourrait tout aussi bien considérer comme un postulat. Je fais le pari que l’on peut rendre compte des pensées, des théories, des pratiques des populations immigrées sans faire appel à des notions qui les disqualifieraient par avance telles que : « superstition », « croyance », « pensée magique », « pensée irrationnelle », « toute-puissance de la pensée », « symbolisme », etc. Et d’abord, je dirai que je ne travaille pas souvent avec la notion de dieu, mais beaucoup plus avec une notion qui est à la fois son antagoniste et son contrepoint, que l’on pourrait résumer dans le mot : « démon ». Lorsque je parle de démons, il s’agit bien sûr d’êtres tels que les djinns, les áfarit, les zar, les shedim, etc. Mais cette notion de démon, nous la trouvons très précisément dans le passage du Lévitique concernant le bouc émissaire :  » (…)

Et se termine par ceci : « Dans le cas du dispositif zar, l’humain, ici la femme malade, aura servi en quelque sorte d’appât pour la capture d’un esprit qui révélera sans doute, une fois fixé, son utilité en rendant service à la communauté. On trompe le zar pour se l’associer, pour le contraindre à être désormais un allié. Qu’en est-il maintenant de Dieu dans le passage du bouc émissaire (Lévitique, XVI) ? Le trompe-t-on en lui offrant l’odeur parfumée de l’animal ? Si les djinns aspirent à devenir dieu, Dieu (le dieu monothéiste des juifs), quant à lui, cherche un homme suffisamment fidèle, pur et juste pour s’incarner – Dieu cherche à devenir homme. Leurs intentions sont différentes, opposées, pourrait-on dire, mais c’est là même où elles se révèlent que les humains les piègent. On piège le zar à l’endroit de l’offrande, celle qu’il désire par-dessus tout, pour advenir en tant que dieu ; on piège Dieu à l’endroit même de son plus grand désir : la fidélité de l’humain. Et c’est au moment de la plus totale abnégation, lorsqu’il introduit toutes ses fautes dans l’animal, que l’humain se projette alors en son double, l’acteur absent du sacrifice, celui qui, sans même le savoir, sera en train d’honorer une autre divinité : Azazel. Si l’animal se perd dans le désert, périt et pourrit, l’odeur de sa puanteur nettoyée par le feu du soleil et balayée par les vents, Dieu a gagné. Mais si, au contraire, il rencontre un homme, un innocent, un étranger, peut-être, c’est l’homme qui aura gagné, s’étant associé la puissance de Dieu, sans subir le joug d’une insupportable  fidélité. Toute cette longue discussion nous aura permis de comprendre une caractéristique des êtres invisibles. Dieu et les zars se ressemblent au moins par un aspect : leur extrême sensibilité aux odeurs. »

Le texte complet : ici