Le rituel biblique du Yom hakkippourîm

Le rituel biblique du Yom hakkippourîm,

Alfred MARX,

La Bible et l’Autre, Pardès 1/2002 (N° 32-33), p. 106-115.

 

Couverture de la revue Pardès intitulée La Bible et l'Autre

Le rituel biblique explicité et analysé de façon magistrale

 

Le texte commence par ceci : « L’expression « bouc émissaire » est couramment utilisée pour désigner « une personne sur laquelle on fait retomber les torts des autres », pour reprendre la définition qu’en donne Le Robert. Cette expression renvoie, on ne le sait pas toujours, à un rituel biblique, le rituel du Yom hakkippourîm, décrit dans le livre du Lévitique, lequel occupe une place tout à fait exceptionnelle parmi les rituels du culte régulier. En effet, il est mis en œuvre à un moment particulièrement important de l’année, au cours de la période de l’équinoxe d’automne, au tournant de l’année, alors que se termine aussi, avec les toutes dernières récoltes, une année agricole et que l’on se trouve à la veille d’une nouvelle année agricole, laquelle débutera peu après avec les premières semailles. Effectué chaque année, à date fixe, le rituel du Yom hakkippourîm fait ainsi partie de ces rituels de passage qui accompagnent, mieux encore, qui rendent possible le passage d’une année à l’autre. »

Et se termine par ceci : Je conclurai par une seconde réflexion. Il est vital pour une société de pouvoir faire table rase de son passé et de se décharger de sa violence. Mais est-il sûr que cela suffise pour permettre à une société d’exister ? La rupture avec le passé, si elle n’est pas liée à un projet, risque fort, on le voit bien, de faire replonger dans des maux pires encore que ceux dont on pensait s’être libéré. L’étude du rituel du Yom hakkippourîm a attiré notre attention sur le fait que la phase de l’élimination était seulement un préalable, une étape, certes tout à fait indispensable mais non suffisante, en aucun cas un point d’aboutissement : le rituel décrit en Lv 16 ne se termine pas par l’expédition du bouc au désert, et le Yom hakkippourîm n’est lui-même que la phase préparatoire à la fête de Soukkôt qui, elle, est entièrement tournée vers l’avenir. Il est artificiel d’isoler, comme on le fait trop souvent, le pôle négatif du pôle positif, en oubliant que c’est ce dernier qui représente l’objectif du rite. Dans le même ordre d’idées, on peut ainsi se demander si l’élimination du « bouc émissaire » est vraiment une finalité suffisante pour une société, si elle constitue véritablement le principal moyen de réaliser la cohésion du groupe et si, à insister unilatéralement sur la réelle nécessité de canaliser la violence, on ne confond pas le moyen avec le but. Prenant appui sur le modèle biblique, il me semble que le regard devrait être davantage tourné vers le futur, et l’accent mis sur une réalisation de la cohésion sociale à travers un projet commun, un projet qui n’est pas simplement rejet de, qui ne se fait pas sur le dos de, mais qui est construit en relation avec une transcendance susceptible de projeter la société en avant. Pour dire les choses d’une manière imagée, la libération n’a véritablement de sens que si elle est le premier pas vers la terre promise…

L’auteur nous fait remarquer : «  »La présentation faite en Lv 16 du rituel est elle-même assez alambiquée. La description proprement dite du rituel, v. 11-28, est précédée, aux v. 3-10, d’une assez longue introduction où sont énumérées les différentes catégories de sacrifices mises en œuvre – à savoir holocaustes et sacrifices dits « pour le péché », chatta’t – les victimes utilisées – deux béliers pour l’holocauste, un taurillon et un bouc pour le chatta’t, un autre « pour Azazel » – les pièces d’habillement que devra revêtir le grand prêtre après avoir, au préalable, procédé à une ablution. C’est aussi là que l’on indique comment le grand prêtre devra sélectionner, parmi les deux boucs qui lui sont présentés, celui destiné au chatta’t et celui destiné « à Azazel », le fameux « bouc émissaire ». Plus loin, au début de la description du rituel, seront précisées les modalités qui permettent au grand prêtre de se rendre dans le Saint des Saints sans risquer d’encourir la mort. » (p.108)

Il insiste sur ces points maintes fois développés mais qu’il convient de rappeler : « Notons bien ceci. Le bouc choisi pour cette mission n’est ni innocent ni coupable. Il ne constitue pas une victime impure par elle-même : un bouc peut, au même titre que les autres animaux d’élevage, servir de victime aussi bien à un holocauste qu’à un sacrifice de communion. Il ne présente aucune caractéristique qui le distinguerait du bouc dont le sang avait été utilisé pour le chatta’t du peuple, par exemple une maladie ou une infirmité qui le rendrait impropre au sacrifice. Le choix de ce bouc est entièrement aléatoire. Par ailleurs, il ne subit aucune forme de violence. » (p.111)

Voilà peut-être un des essentiels, la double face complémentaire du rituel, négative et positive… : « Si on fait le bilan, on constate ainsi que le rituel du Yom hakkipourrîm s’articule en réalité autour de deux grands pôles.

D’abord un pôle négatif, celui de l’élimination de l’impureté et du péché, laquelle se fait en deux temps, en deux mouvements complémentaires, le premier qui va de l’intérieur du sanctuaire au parvis, le second qui va du parvis au désert. Cette double série de rites a pour fonction de se débarrasser de toute l’impureté et tout le péché qui s’étaient accumulés tout au long de l’année écoulée dans le sanctuaire 4. Elle crée ainsi les conditions qui permettent à Dieu d’être de nouveau pleinement présent au milieu de son peuple.
Mais ce pôle négatif ne représente que la première partie du rituel. Il est suivi d’un pôle positif qui, lui, en marque le point d’aboutissement. L’élimination de l’impureté et du péché n’est qu’un préalable, certes indispensable. Elle ne constitue pas un but en soi. L’objectif ultime est le rétablissement de la relation avec Dieu, laquelle est réalisée par l’offrande de sacrifices au « parfum lénifiant », une relation qui désormais peut être de nouveau parfaite et sans entrave, maintenant que le territoire est débarrassé de toute impureté et de tout péché. » (p.112)

Comme d’autres auteurs, Gérard Marx relève : « Le bouc émissaire du rituel du Yom hakkippourîm n’a que peu à voir avec ce que nous entendons généralement par « bouc émissaire ». Ceci non seulement parce que le bouc émissaire est ici un véritable bouc, et non une personne, mais aussi parce que ce bouc ne présente aucune des caractéristiques du bouc émissaire, dans le sens que Le Robert donne à cette expression. Ce n’est pas un  marginal, il n’est ni innocent ni coupable, aucune souffrance ne lui est infligée. Il ne sert pas à canaliser la  violence et à libérer la société de sa violence destructive. Et ce n’est pas lui qui permet à la société de retrouver son unité, sa cohésion. » (p.113)

Il insiste sur ce point : « Car, pour subsister, toute société a besoin de réguler sa violence interne. Ceci non seulement par des lois qui fixent des limites à la violence, mais aussi, ainsi que l’a souligné Girard, en lui procurant un exutoire, en lui permettant de se décharger du trop-plein de violence, afin que cette violence cesse d’être destructive pour la société. » (p.114)

Notre article : Le bouc émissaire dans la Bible

 Le texte complet : ici