Le mal entre la Providence divine, le bouc émissaire et le don

Le mal entre la Providence divine, le bouc émissaire et le don,

un article de Farhad KHOSROKHAVAR,

dans la Revue du MAUSS,

vol. 55, no. 1, 2020, pp. 264-279.

Un article d’un numéro consacré à des comparaisons Marcel Mauss, René Girard …. et quelques autres

L’article de Farhad KHOSROKHAVAR commence par ceci :

La question du mal s’est posée de différentes manières à la conscience humaine depuis l’aube de l’humanité, tant au sujet de sa nature qu’à celui des solutions qu’on peut lui apporter.

Nous isolerons trois manières de poser ce problème : la vision des religions monothéistes et, en filigrane, la conception socratique du mal, la vision en termes de bouc émissaire, et, enfin, celle qui part du don au sens de Mauss. L’analyse de ces trois visions montre les impasses auxquelles conduisent les deux premières et la nécessité d’avoir recours à la conception maussienne en termes de don et de contre-don pour trouver une solution aux dilemmes des deux autres. La perception maussienne ne nie pas le mal mais apporte une solution qui rend la violence réelle caduque en l’inscrivant dans une violence symbolique au sein de la dialectique du don et du contre-don, neutralisant le mal dans une relation fondée sur l’échange empathique (à la différence de l’échange marchand).

L’article de Farhad KHOSROKHAVAR se termine ainsi :

Les conceptions du mal posent la question de sa perpétuation et celle de la manière de le contourner ou de l’éviter selon différentes perspectives. Nous avons choisi trois conceptions distinctes et nous avons tenté de montrer que l’économie du don maussien apporte une solution au problème du mal non pas en le niant mais en tentant de l’éviter et de le contourner par le recours à une logique d’échange empathique. Le don est, dans notre perspective, aux antipodes de la logique du bouc émissaire. Seule sa perversion peut aller dans le sens d’une violence sacrificielle s’apparentant à celle de la victime émissaire. Pour illustrer nos propos, nous avons choisi la thématique du djihadisme européen qui révèle, dans notre argumentaire, le problème de la violence émissaire et l’impossibilité de l’inscrire dans une vision en termes de don, en dépit de l’insistance des djihadistes à se présenter comme les partisans absolus du don. Notre constat est que, dans une société marquée par l’égoïsme d’une logique utilitaire érigée en absolu, le don risque de se muer en un avatar pervers qui contredit frontalement les prémisses d’un échange authentiquement empathique. Le djihadisme est l’illustration de cet état de fait. Celui-ci révèle autant sa nature mortifère que la perversion des relations sociales au sein des sociétés marquées par la prépondérance de l’échange marchand qui rendent impossible l’instauration d’un échange fondé sur le don et le contre-don autrement que de manière périphérique et marginale. La violence djihadiste est l’une des conséquences des relations antagoniques au sein d’une société qui a renoncé à la convivialité et à l’humanité de la communication en termes de don et de contre-don non utilitariste. Le don djihadiste est la mort de soi et d’autrui comme seule possibilité d’échapper à un monde inhumain par un surplus d’inhumanité.

On y trouve notamment :

La solution de la victime émissaire est à l’opposé de celle que propose le don. Autant le don cherche à éviter la mort, autant l’institution du bouc émissaire choisit un mort (ou, plus rarement, un groupe mis à mort) pour faire expier à la société les maux qu’elle aurait commis et lui faire reconquérir une virginité en les faisant endosser par le bouc émissaire : on expulse les forces du mal en les concentrant sur un individu.

On y trouve également :

On verra comment la logique du don peut être pervertie en se mêlant à celle du bouc émissaire chez certains groupes comme les djihadistes qui prétendent agir selon la première alternative (celle du don), alors qu’ils le font en réalité selon la seconde (celle du bouc émissaire).