Pas si simple Roger !

 étude de cas d’un bouc émissaire dans le monde professionnel.

Narration de la situation, telle que nous l’avons reconstituée à partir des entretiens individuels et collectifs réalisés sur le site de ce Foyer d’Action Educative.

Les photos représentent la contribution de stagiaires en formation continue à la compréhension de la situation… qu’ils en soient remerciés…ces photos sont autant d’hypothèses de travail, que le lecteur est invité à interroger et vérifier.

« Réunion d’équipe en FAE1 : pas si simple Roger ! »

Evénement : Nous sommes mardi en fin d’après midi. Il est 18 h25. Le directeur dit au cours de la réunion de synthèse : « bon on n’a pas le temps, on verra ça plus profondément une prochaine fois ; on passe à la suite ! »

Pas si simple Roger, bouc émissaire

Hypothèse de travail… Roger est stigmatisé ; vérifions ensemble

pas si simple roger, relations systémiques2

Roger et les relations professionnelles au cours de la réunion...

Contexte immédiat :

La réunion doit se terminer à 19h (elle est de 17 à 19 h). Un petit peu avant 18h20, après avoir étudié des points divers d’organisation du FAE, notamment des conventions à passer avec des entreprises artisanales et le cas d’un jeune qui doit commencer un stage le lendemain, il reste à voir, conformément à ce que l’ordre du jour donné la veille le prévoyait, le cas de trois jeunes. Mais auparavant, l’étude d’un cas s’impose, celui de Gaël.

Le chef de service éducatif : « bon, j’ai fait inscrire le cas de Gaël à l’ordre de jour de façon exceptionnelle et dans l’urgence. Oui, on a un sacré problème avec Gaël ; en deux mots, il est renvoyé de la classe relais… il a étranglé un autre élève pendant qu’il faisait de l’informatique…. Voilà, il faut prendre une décision, il faut qu’on lui trouve quelque chose. J’avoue que je suis un peu impuissant, parce que je ne comprends pas, il semblait partant et voilà qu’il débloque.

Norbert (un éducateur) : « ça c’est vrai qu’il débloque, comme ici d’ailleurs ; la semaine dernière, vous n’avez pas voulu tellement en entendre parler mais il s’est battu avec Georges ! Gaël, faut dire qu’il débloque de plus en plus et de plus en plus violemment … je crois qu’il n’a plus sa place parmi nous…

Roger (ATE2: « je ne suis pas son référent, mais je sais que c’est compliqué pour lui ; le soir, je le vois, les autres se moquent de lui parce que ……….…..… »

Cyrille (un éducateur), lui coupe la parole : « eh ! attends, justement, c’est moi son référent. Je crois que je le connais un peu mieux que tout le monde ici ; Gaël, il fait semblant, je crois, de vouloir aller s’en sortir à la classe relais ; oui, moi aussi je sais que ça se passe mal à la classe relais, mais ça se passe mal aussi ici ; y a de plus en plus de problèmes, de disputes, d’embrouilles en tout genre… et pas que avec les jeunes, avec nous aussi . »

Le psychologue : « Qu’est ce que tu voulais dire Roger ? quand tu disais que c’est compliqué ? »

Roger (ATE) : Et bien, j’ai discuté avec lui assez longuement et à plusieurs reprises … et je le vois bien aussi, avec les autres ; les autres lui en veulent de vouloir réussir dans la classe relais…..

pas si simple, Roger ! les signes victimaires, bouc émissaire

Le bouc émissaire : des signes distinctifs aux signes victimaires, le processus de stigmatisation

Cyrille : « c’est pas si simple, Roger, c’est pas si simple ! si c’était si simple, on le saurait ! … pfff… Gaël, il n’en fait qu’à sa tête ; il ne veut pas travailler autant que ça ; la preuve, il se bat là-bas, au lieu de travailler… pas vrai qu’il se bat, là-bas, ? Y a hélas plus rien à faire avec lui …. C’est pas vrai qu’il se bat là bas ?  Personne ne peut dire le contraire…»

Le chef de service éducatif : « Ça c’est sûr, il se bat !  la question c’est ce qu’on va en faire. J’ai l’impression qu’on ne peut plus rien avec lui, qu’on ne peut plus rien pour lui.»

Roger : « moi, je suis pas tellement d’accord ; c’est pas lui qui met le bazar ; lui il répond ; c’est pas lui qu’il faut sanctionner… »

Le chef de service éducatif : « allez, ne changeons pas de discussion ! Qu’est ce qu’on fait de Gaël ?… »

Le psychologue : « il ne faudrait quand même pas que Gaël soit le bouc émissaire du groupe… ni même du FAE »

Le chef de service éducatif  (Fermement) : « allons, ce n’est pas le cas ! ça se saurait quand même ! »

Pas si simple roger ! Roger, bouc émissaire, pourquoi ?

Ce que l’on reproche à Roger… le voilà au cœur des reproches.

Roger :  « en tout cas, c’est pas ce qu’il dit, lui !  Le soir, je discute avec lui et il dit que souvent les autres sont après lui ! d’ailleurs, je le vois bien quand ils n’arrêtent pas de le charrier… »

Cyrille : « faut pas exagérer, ils sont tous comme ça ; d’ailleurs, c’est bien lui qui a étranglé un autre, non ? »

pas si simple roger ! tabous, bouc émissaire

Roger, bouc émissaire, permet la nécessaire préservation des tabous institutionnels ?

……silence……..

Roger, victime de la nécessaire préservation des tabous institutionnels

Le chef de service éducatif : «  Bon, je propose qu’on le mette en stage en attendant ; on a un stage chez le plombier, vous savez…, en attendant qu’on décide quelque chose de plus profond »

Le psychologue : « ça risque de ne rien régler du tout, ça.. »

Cyrille : « moi je pense aussi que ça va rien régler, faut aller plus loin ; on est d’accord avec Norbert (qui acquiesce), on est tous d’accord alors ? »

Le psychologue : « c’est pas ça que je voulais dire, je voulais dire que l’envoyer en stage alors qu’il nous dit quelque chose sur… » il est interrompu …

Le directeur : « bon on a pas le temps, on verra ça plus profondément une prochaine fois ; on l’envoie en stage et on passe à la suite !  Vous vous en occupez (dit-il avec autorité en regardant Cyrille et le chef de service éducatif).

pas si simple roger, relations systémiques

Le bouc émissaire, un jeu relationnel complexe à décrypter : Roger devient l’enjeu de la situation de Gaël.

Le contexte élargi aux acteurs :

Roger (l’ATE) : il a travaillé la nuit dernière ; parfois il ne vient pas aux réunions pédagogiques ; là, il savait qu’on allait parler de Gaël ; il s’est donc rendu volontairement à la réunion. Il est depuis 20 ans dans le FAE ; il est bien noté ; il connaît tous les jeunes, est apprécié de tous. En revanche, il connaît peu l’équipe qu’il ne rencontre que lors des intersections de services (quand l’un part et que l’autre arrive) ; il parle de croisements…et regrette le peu d’échanges ;

Le chef de service éducatif : c’est l’ancien de la structure, il y exerce depuis dix-neuf ans. Il est fier de pouvoir dire qu’on peut compter sur lui en n’importe quelle circonstance et qu’il est capable de régler tous les problèmes.

Cyrille, l’éducateur référent : depuis 6 ans au FAE ; a eu des mots avec Gaël depuis qu’il est arrivé ; apprécié par ses collègues pour son humour et sa capacité à « dire les choses » ; très ami avec Norbert, l’autre éducateur

Norbert (un éducateur) : éducateur au FAE depuis 8 ans ; il connaît peu Gaël. C’est le référent de Georges, le jeune avec qui Gaël s’est battu la semaine précédente. Il est très ami de Cyrille.

Le psychologue : 26 ans, vient d’arriver, découvre le fonctionnement du FAE. Il sent des choses peu claires ; il dit ressentir une gestion à l’économie ; il est surpris par les réunions un peu rapides et s’efforce de faire réfléchir plus profondément aux différents cas étudiés.

Le directeur : Il est âgé de 33 ans et vient des services extérieurs. Arrivé depuis deux ans, il n’avait jusqu’alors jamais exercé dans l’éducatif. Il est davantage ressenti comme un gestionnaire qu’un « éducateur » au sens large du terme.

Le service :

Le FAE : est classique ; il accueille 8 jeunes. L’équipe est composée de sept éducateurs, d’un psychologue, un assistant de service social, deux agents techniques d’éducation, deux Ouvriers Professionnels. L’équipe est réputée dynamique, innovante, sans gros problème. Elle est stable.

Le jeune Gaël : Il a 14 ans et vit dans le foyer depuis six mois. Eloigné de sa famille, il ne supporte pas cet éloignement. Il a vécu des phénomènes de maltraitance entre les parents. Il ne voit plus ses parents et ne sait pas trop si c’est le juge qui ne veut pas ou si c’est les parents qui ne veulent pas le voir. Au foyer, le mal-être des autres le touche et l’affecte ; il s’attache à des gens de passage qui s’en vont régulièrement ; il a un comportement parfois difficile entre tentatives de fugues et des replis ; parfois au contraire il se met en avant de façon intempestive… Son projet est essentiellement scolaire. Il a été orienté dans la classe relais de son secteur scolaire. Il a repris confiance, et commence une réintégration au collège, très partielle pour l’instant.

Georges, un jeune du foyer : Il a 15 ans. Mal dans sa peau, il provoque fréquemment les adultes et ses camarades. Il n’est pas rare de le voir impliqué dans des bagarres.

1 FAE : Foyer d’Action Educative /2 ATE : Agent Technique d’Education