Enjeux d’une théorie de la religion au-delà du mirage girardien. Réflexion critique sur Le Symbolique et le sacré de Camille Tarot,

un article de François GAUTHIER,

dans la Revue du MAUSS,

publié en 2008/2 (n° 32), p. 495-533.

Un texte passionnant de François Gauthier qui aborde, à travers la pensée de René Girard et de Camille Tarot, la problématique du bouc émissaire

Le texte commence par ceci :

Penser la religion a été au cœur des travaux de l’école durkheimienne et donc au fondement de la sociologie française, et c’est d’une certaine manière pour ou contre la religion que se sont construites la sociologie et l’anthropologie depuis. Or les travaux théoriques d’envergure sur le sujet de la religion se sont faits très rares depuis longtemps déjà, au profit de spécialisations faisant souvent l’impasse sur leurs implications épistémologiques et leur articulation avec des considérations de sociologie générale. C’est donc avec un a priori favorable que l’on se doit d’accueillir dans un premier temps ce dernier opus de Camille Tarot où il est principalement question de religion. Avec la parution de l’ambitieux La Naissance des religions du regretté Yves Lambert [2007], il faut espérer qu’il présage un renouvellement du goût pour la réflexion théorique et généraliste.

Le texte se termine par ceci :

Le rapport de la religion au sacré est à la fois fait de conjonction et de disjonction, de reliance et de séparation. C’est un travail sur les frontières, sur les limites. Voilà encore pourquoi religion et politique sont indissociables et irréductibles dans l’institution du social. Le symbolique fait disparaître le religieux précisément parce qu’il doit, pour fonctionner, occulter la question de ses propres conditions, de l’origine de la structure et de l’horizon fondationnel, pour rendre compte du système de différences qui compose l’intérieur. Son talon d’Achille, c’est la métaphysique de l’identité, du Même, qui le fonde. Penser le sacré, à l’opposé, c’est dès lors être propulsé du côté de l’énergétique et de la singularité, et être ainsi aspiré dans un au-delà de la structure qui en fait voir la limite, le fondement, l’origine, mais qui se referme sur une métaphysique de l’altérité, de l’Autre, lorsque l’on prétend, comme R. Girard, s’en saisir dans l’histoire. Ludwig Wittgenstein avait peut-être raison : l’origine est ce que l’on peut montrer, notamment par le mythe, la musique et la poésie, mais non ce que l’on peut dire, à défaut de quoi on fabrique soi-même du mythe en croyant faire de la science.

On y trouve notamment :

Contre cette menace agirait un « mécanisme » à valeur de constante anthropologique : celui du bouc émissaire, par lequel la violence de tous contre tous se transforme en violence de tous contre un. Sa mise à mort (l’essence du sacrifice) agit alors comme un apaisement, le groupe se déchargeant de sa culpabilité en se fédérant autour du « cadavre encore chaud ».

On y trouve également :

En articulant sa théorie mimétique au mécanisme du bouc émissaire, mimé par la religion, l’ambition de R. Girard est carrément de chapeauter l’ensemble du savoir. Cette entreprise trahit une certaine mégalomanie en prétendant fournir le fin mot sur « ces choses cachées depuis la fondation du monde », ce dont C. Tarot ne croit pas bon discuter. Les mythes et une certaine littérature (R. Girard est arrivé à ses thèses en s’appuyant sur la tragédie grecque) renfermeraient une vérité que ne veut pas appréhender la science 

On y trouve aussi :

Le structuralisme offre un appui de taille aux critiques du sacré qui voudraient liquider la notion. C. Tarot montre bien comment le choix que fait C. Lévi-Strauss d’évacuer le sacré et la religion au profit du tout-symbolique se fonde sur des implicites, en l’espèce une réduction du religieux au sentimentalisme et à un type d’inquiétude qui, personnellement, ne l’aurait jamais « effleuré » [p. 545]. Voilà bien une des forces de l’ouvrage de Tarot : montrer que la réduction du champ de la religion, du sacré et du symbolique, procède toujours de choix théoriques qui ne se font pas sans refouler une certaine métaphysique et laisser dans l’ombre certaines questions.

Et énormément d’autres choses, plus profondes les unes que les autres…

Pour avoir au texte complet : ici