La collaboration à l’épreuve du mécanisme du bouc émissaire, Rémi Casanova

La collaboration à l’épreuve du mécanisme du bouc émissaire, Rémi Casanova

La collaboration chercheurs – praticiens à l’épreuve du mécanisme du bouc émissaire,

Rémi Casanova

Éducation et socialisation, 2017, n°45

Rémi Casanova, La collaboration chercheurs – praticiens à l’épreuve du mécanisme du bouc émissaire.

Rémi Casanova, La collaboration chercheurs – praticiens à l’épreuve du mécanisme du bouc émissaire.

La collaboration chercheurs – praticiens à l’épreuve du mécanisme du bouc émissaire : le texte intégral, ici

 

Le texte commence ainsi : Le texte que nous rédigeons ici interroge les relations entre chercheurs et praticiens dans leurs interactions évolutives au cours d’une recherche collaborative. Nous posons comme hypothèse que la recherche collaborative peut devenir le terreau favorable à la rivalité mimétique, ferment du processus du bouc émissaire. Ce texte n’est pas directement une recherche sur le phénomène du bouc émissaire. Il est une analyse réflexive sur ce que des chercheurs et des praticiens1 ont vécu lors d’une recherche collaborative étudiant la mise en place d’une pédagogie institutionnelle à l’échelle d’un dispositif de formation (Casanova, 2012). Nous nous proposons donc de décrire le contexte de cette recherche collaborative. Notre travail prend comme grille de lecture et d’analyse méthodologique les théories du bouc émissaire telles que les entend le CERBERES2, sur la base de la définition qu’il a élaborée : « le bouc émissaire est un processus de réconciliation momentanée fondé sur l’exclusion et la substitution » (2014). Selon nous, quelles que soient la méthodologie mise en œuvre et les postures intentionnelles des chercheurs, le phénomène du bouc émissaire se développe autour de deux éléments intrinsèques à ce mécanisme : la rivalité mimétique et les tabous groupaux.

Il se termine ainsi : Au sein du dispositif étudié, les relations entre chercheurs et praticiens peuvent être vues au regard du mécanisme du bouc émissaire. En effet, elles ont été soumises aux tabous et à la rivalité mimétique. Ce n’est peut-être finalement pas étonnant.

En effet, fondamentalement, la recherche importe certains tabous. Elle porte ses propres tabous, ceux liés à son histoire, notamment dans son rapport à l’épistémologie des sciences et à l’herméneutique : hérités, construits, immanquablement reconstruits, ils sont inévitablement introduits sur un terrain de recherche et au sein d’une méthodologie. Profondément ancrés, ils peuvent, au mieux, être mis au travail. Rarement épuisés, ils invitent à la rivalité mimétique. La recherche à l’épreuve du terrain a créé par ailleurs ses propres tabous. Ceux-ci n’étaient pas inévitables. Ils étaient potentiels. Ils se sont développés au fur et à mesure que la recherche s’est trouvée confrontée à des obstacles qu’elle n’est pas parvenue à surmonter, ou qu’elle n’a pas voulu affronter. Superficiels car récents même s’ils peuvent interroger le cœur de la relation chercheurs-praticiens ou commanditaires-chercheurs, ils auraient pu, avec davantage de lucidité, d’éthique et de volonté, être dévoilés. Ils auraient pu, dans ce cadre-là, devenir un objet de régulation puis de progression institutionnelle. Mais l’irruption des tabous mettrait en péril la viabilité de la recherche. Pour s’en préserver, s’offre le mécanisme du bouc émissaire. Si la recherche porte, en soi, un certain nombre de problèmes, elle n’est pas la seule.

En effet, fondamentalement, la collaboration induit également la rivalité mimétique. Elle le fait au moins dans un premier temps. Car elle fait le pari de l’intersection féconde entre les chercheurs et les praticiens. Elle le fait dans l’optique d’une conflictualisation heureuse et fructueuse. C’est ainsi qu’elle offre une parcelle de pouvoir partagé sur le devenir de la démarche de recherche. C’est parfois même la structure voire les intentions de la recherche qui peuvent être co-élaborés. On comprend alors aisément comment la collaboration peut entraîner la rivalité dès lors que l’objet partagé devient objet naturel de dispute20, puis éventuellement de dissensus voire même de discorde. Sur ces bases, parfois difficiles à réunir, l’émergence de la figure du bouc émissaire devient inéluctable si, à la rivalité, ne se substitue pas la complémentarité.

On y trouve notamment :

« Les tabous renvoient ainsi toujours aux mythes originels et ultérieurs que le groupe s’est créé de façon à bâtir un fondement le plus solide possible, qui se veut même dans l’absolu inébranlable, inaliénable, inattaquable… sacré. C’est la raison pour laquelle nous pensons que le tabou se trouve dans le carcan d’une double « -hibition » : il provoque et convoque une inhibition et une prohibition ; l’inhibition de la personne et la prohibition d’un objet. Pour la personne, il s’agit de tenir en soi ce qui ne saurait en sortir sous peine de heurter excessivement le groupe dans son idéologie ou ses croyances. Pour l’objet, il s’agit de tenir éloigné l’objet qui apporterait la discorde ou jetterait l’opprobre (Casanova, 2017, p. 85). »

« La collaboration, tant au sein des dispositifs de formation que de recherche, n’apparaît alors pas comme un des garants absolus contre le phénomène du bouc émissaire. Mal comprise, mal vécue, elle pourrait même les développer. »

« Le mécanisme du bouc émissaire obéit à certaines règles. Chaque étape de son développement répond à la description d’un moment bien marqué de la vie du groupe.  »

« On retrouve dans cette étude d’une part les tabous hérités et construits évoqués plus haut et d’autres part les tabous superficiels (le triptyque sexe – pouvoir – argent) et les tabous ancrés (valeurs, identité, vocation).  »

« On est ainsi passé d’une collaboration positive tournée vers la réussite du projet (« tous pour le projet ») en une collaboration négative dirigée vers l’élection et le sacrifice d’un bouc émissaire (« tous contre un »). Les domaines d’exclusion se marquent de plus en plus. »

On relève notamment dans la bibliographie :

Barberi, M.S. (dir.) (2001). La spirale mimétique, dix-huit leçons sur René Girard. Paris : Desclée de Brouwer.

Casanova, R. (2014). Collaborer, coopérer une alternative au bouc émissaire, journée d’étude professionnelle : Formation des adultes : coopération ou collaboration, Université Lille 1, CUEPP, 16 décembre.

Vinolo, S. (2011). Différer le mal : la logique du bouc émissaire. Sens-Dessous2(9), 56-66.