Cassandre parmi les porcs-épics

Cassandre parmi les porcs-épics

un article de Vincent Charazac,

dans la revue de psychothérapie psychanalytique de groupe,

paru en 2010, n°55.

Un texte de Vincent Charazac qui a retenu l’attention de l’observatoire du bouc émissaire.

Le texte commence ainsi, par une citation de Sigmund Freud :

« Un jour d’hiver glacial, les porcs-épics d’un troupeau se serrèrent les uns contre les autres, afin de se protéger contre le froid par la chaleur réciproque. Mais, douloureusement gênés par les piquants, ils ne tardèrent pas à s’écarter de nouveau les uns des autres. Obligés de se rapprocher de nouveau, en raison d’un froid persistant, ils éprouvèrent une fois de plus l’action désagréable des piquants, et ces alternatives de rapprochement et d’éloignement durèrent jusqu’à ce qu’ils aient trouvé une distance convenable où ils se sentirent à l’abri des maux ».(S. Freud [1][1]S. Freud (1921), « Psychologie collective et analyse du moi »,…)

Le texte se termine ainsi, :

« Enfin, nous relevons que pour décrire une dynamique groupale humaine (la recherche de la « distance convenable »), S. Freud convoquait une parabole, et donc un détour par l’imaginaire. Nous avons supposé que cette médiation par l’allégorie était aussi à l’œuvre à travers le mythe de Cassandre (illustrant l’oscillation du groupe entre deux affects antagonistes). Les porcs-épics et Cassandre semblent annoncer des réalités groupales qui ne seraient pas intelligibles sans leur intervention. « Les mythes rendent compte des fantasmes inconscients et des principaux syndromes psychopathologiques » ; la figure de Cassandre nous indique-t-elle qu’elle incarne une dynamique groupale si indicible qu’on ne peut l’évoquer que par la médiation d’un mythe, d’une fable ou d’une parabole ?

Cassandre place les autres membres du groupe devant une problématique évoquant l’énigme que le Sphinx pose à Œdipe. Comme le roi de Thèbes, l’appareil psychique groupal est durement mis à l’épreuve ; sa destinée – délitement, paralysie ou développement – dépendra de ses réactions aux prophéties angoissantes de la troyenne. »

On y trouve, (avec une coquille sur le nom de René Girard)…, :

Enfin, la désignation du bouc émissaire participe aux angoisses clivantes. Pour R. Gigard, cette figure émerge pour éviter que la violence ne fasse éclater le groupe. « Pour que le groupe puisse devenir un bon sein introjecté, il faut qu’il trouve un mauvais objet sur lequel le transfert négatif clivé soit projeté. […] Les groupes ont un génie naturel pour détecter à chaque moment dans leur sein celui de leurs membres qui, par ses particularités psychopathologiques, est le plus représentatif de la problématique générale et se centrer alors sur lui, à la fois pour déplacer sur un seul le problème général, et aussi pour aborder ce problème de manière indirecte » La figure du bouc émissaire désigne donc la victime du déplacement de l’agressivité inconsciente du groupe contre l’un de ses membres ou d’un tiers (moniteur, expert, formateur), confirmant un clivage du transfert.

On y trouve, également, citant René Kaes…, :

Dans la continuité de la notion de bouc émissaire, le pacte dénégatif désigne « diverses opérations (de refoulement, de dénégation, de déni, de désaveu, de rejet ou d’enkystement) qui, dans tout lien intersubjectif, sont requises de chaque sujet pour que le lien puisse se constituer et se maintenir ». Si ce pacte organise le lien transsubjectif, il comporte une dimension défensive impliquant de découvrir contre quelle angoisse il s’est inconsciemment mis en place (puisqu’il épargne au groupe la confrontation avec ses conflits internes en concentrant le clivage sur le(s) membre(s) ou tiers le plus représentatif(s) du malaise collectif).

On y trouve, encore…, :

Si elle apporte une protection répondant à un besoin de sécurité, l’illusion groupale signale une authentique régression. Puisqu’elle implique un clivage du transfert, elle s’accompagne fréquemment de la désignation d’un bouc émissaire. Immobilisé dans cette illusion, le groupe n’a pas accès à un imaginaire commun qui s’appuierait sur une capacité de symbolisation collective. La perte de l’objet est niée.

Avec le surgissement – consécutif – de Cassandre, nous présumons que ce déni ne tient plus, qu’il menace de céder en rouvrant la porte aux angoisses que l’illusion groupale devait contenir en les refoulant.

Pour le texte complet, ici, sur cairn.