Bouc émissaire : le concept en contextes, Bouc-Scopie, introduction du livre

Bouc-Scopie : penser le bouc émissaire comme objet scientifique ?

L’introduction (p.15-22) rédigée par Rémi CASANOVA et Françoise-Marie NOGUES dans le livre Bouc émissaire : le concept en contextes,

publié aux PUS, en novembre 2018

On y trouve :

une interrogation sur l’extension du terme…

« Mais ce qu’une expression gagne en amplitude, elle le perd en densité. Ce qu’elle gagne en sens courant, elle le perd en précision. Ce qu’elle gagne en prolifération et propagation, elle le perd en concentration et consistance. Ainsi, ce qu’elle dévoile dans son sens dilué et édulcoré, cache, modifie et dénature parfois l’essentiel. Si c’est une bonne chose, pour elle, d’irriguer le langage courant, c’en est une moins bonne qu’elle provoque la confusion mentale. Non pas qu’il faille ignorer l’inévitable voire nécessaire évolution sémantique des expressions. Il s’agit plutôt constater et tenter de contribuer à lui donner un sens contemporain aussi consistant qu’il le fut à ses origines. Car ces références extensives deviennent, de fait, souvent approximatives et floues ; paradoxalement réductrices. Elles côtoient par ailleurs des approches, démarches et réflexions beaucoup plus précises et rigoureuses, qui peuvent sembler parfois réductrices tant le sens courant finit par modifier un sens originel et littéral. »

une approche scientifique fondée sur la reliance

Bouc émissaire le concept en contextes

Bouc-scopie, pour la volonté d’une approche scientifique du mécanisme du bouc émissaire

« Une des ambitions de cet ouvrage est d’inscrire le bouc émissaire dans une démarche de reliance intellectuelle et sociétale. Il est question de penser l’objet bouc émissaire par des disciplines diverses, parfois concurrentes, sans confusion. Il est également question de prendre comme support le monde du travail comme la sphère privée, dans des organisations, des institutions, les familles. Il s’agit enfin d’entrer soit par les concepts (discrimination, stigmatisation, exclusion, réconciliation, tabous, sacrifice, emballement mimétique, substitution, symbolisation, expiation, violences, etc.), soit par des modalités (harcèlement, lynchage, Tête de Turc, accusations, etc.), la frontière épistémologique entre ces deux approches étant par ailleurs ténue et discutable. »

une approche discutée des définitions

« De même que sont interrogées les deux définitions : celle de la figure du bouc émissaire « est bouc émissaire celui qui, au prix de son exclusion, est l’instrument de la réconciliation des membres du groupe » ; et celle du processus, « le bouc émissaire est un processus de réconciliation collective momentanée fondée sur l’exclusion et la substitution ». La première est l’entrée classique lorsqu’on aborde l’expression dans le langage courant. Elle ne prend réellement son sens que si on l’intègre à la seconde. Sinon, elle pourrait constituer un simple sous chapitre d’un ouvrage consacré au harcèlement. Or, il n’en est rien. Le processus s’impose à la figure car il la crée. Sans les rivalités mimétiques, sans les tabous groupaux, il n’y aurait pas de figure du bouc émissaire. »

la difficulté, encore aujourd’hui, d’aborder sérieusement la question

« Le mécanisme du bouc émissaire, s’il est aujourd’hui accepté dans le monde intellectuel, reste encore porteur d’incompréhensions difficilement franchissables par certains. Le mot fait encore peur. Ne nous a-t-on pas suggéré, à plusieurs reprises lors d’interventions en institutions et entreprises de le gommer et de lui substituer des synonymes adoucis ? Car à nommer un phénomène, on le créerait. Et on introduirait de mauvaises intentions même si tout, dans le contexte, démontre que le processus est à l’œuvre. Il reste de l’indicible, de l’impensable dans le bouc émissaire, dans la rivalité fraternelle initiale. Il reste de la culpabilité et du déni, de la pensée magique voire du conformisme. »

«  On se souvient de la frilosité de quelques-uns à utiliser le terme même de bouc émissaire que René Girard (1982, p.184) déplore :

en parlant de pharmakos plutôt que de bouc émissaire, Jean-Pierre Vernant espère éluder le blâme de ceux parmi ses collègues qui ne sont pas du tout sensibles au parfum de victime qui se dégage du mythe. Mais pourquoi chercher à satisfaire des gens à l’odorat si peu sensible ? Jean-Pierre Vernant est trop sensible lui-même pour y parvenir et pour ne pas rester presque aussi suspect à ces nez-là que je le suis moi-même au sien. »

en toile de fond, comprendre le rite, dans toutes ses dimensions…

« Établir les contours épistémologiques d’un bouc émissaire dont quelques éléments constitueraient les frontières définitionnelles participe ainsi de l’ambition de cet ouvrage. Paraphrasant Lucien Scubla, il s’agirait de fournir « un effort pour rendre l’institution plus intelligible » (2003, p. 197). »

… y compris institutionnelles

« C’est la raison pour laquelle il est aussi question, dans ce livre, de pharmakos et de pharmakon. Les notions sont voisines voire sœurs, et méritent de s’éclairer l’une l’autre ; elles s’avèrent fructueuses d’un point de vue épistémologique y compris dans le champ de l’analyse sociétale et institutionnelle. »

«  Si le bouc émissaire peut devenir un outil de pilotage managérial, le pharmakon peut être un analyseur de l’institution. »

au fond, il s’agit de voyager…

« Mi-cartographie, mi-carnet de voyage, l’ouvrage se situe à la croisée des disciplines ; en effet, deux destinations par chapitre invitent le lecteur à décrypter, examiner le bouc émissaire tantôt à la lorgnette d’une historienne, d’une psychologue, d’un chercheur en sciences de l’éducation … »

« Il s’agit alors bien, dans cette introduction et plus largement dans cet ouvrage, d’une Bouc-Scopie. D’abord l’examen de nos intentions, de celles des auteurs qui, depuis le Lévitique donnent des pistes de réflexion et d’action au regard de problématiques intemporelles et universelles. L’examen, sous différents angles et par différents auteurs porteurs de leurs filiations intellectuelles et professionnelles, d’un phénomène dont il reste toujours plus à écrire tant l’ingéniosité humaine est créatrice de modalités de substitution, d’exclusion et de réconciliation. Un examen outillé par des méthodologies, des concepts, des contextes qui sont abordés dans leurs interactions, leurs intersections, leurs frottements. Un examen hic et nunc, qui n’a pas la prétention d’être exhaustif mais celle d’éclairer le phénomène du bouc émissaire par des approches conceptuelles confrontées à des contextes divers. »

Rémi CASANOVA et Françoise-Marie NOGUES, directeurs éditoriaux de l’ouvrage bouc émissaire, le concept en contexte.

Rémi CASANOVA dirige le livre Bouc émissaire : le concept en contextes, avec Françoise-Marie NOGUES

Le premier est enseignant chercheur à Lille.

 

 

La seconde est responsable des formations de l’Observatoire du bouc

Bouc-Scopie : penser le bouc émissaire comme objet scientifique ?

Françoise-Marie NOGUES dirige le livre Bouc émissaire : le concept en contextes avec Rémi Casanova

émissaire et des violences institutionnelles.