Crise d’adolescence, crise des différences : approche anthropologique des violences éucatives actuelles

Crise d’adolescence, crise des différences : approche anthropologique des violences éducatives actuelles

Marie-Louise Martinez

dans la revue Enfances & Psy

n° 46, 2010, p. 157-164

Bouc émissaire crise d’adolescence ? C’est surtout la crise des différences qui semble exarcerbée, dans une indifférenciation autant liée à la période adolescente qu’au contexte et regard contemporain sur l’adolescence. Un article exceptionnel !

Un article exceptionnel de Marie Louise Martinez que l’Observatoire du bouc émissaire recommande prioritairement

 

 

Marie Louise Martinez intitule une des parties de l’article :  » Adolescence, Mal des limites et fascination du double« 

Elle y écrit page 159 : « Le culte de l’adolescence, comme objet universel de désir mimétique et manifestation moderne de l’indifférenciation, déstabilise la relation adulte-enfant, le rapport d’imitation acquisitive entre les âges s’inverse. Au fur et à mesure que l’égalité, les droits des enfants, la liberté sexuelle, grandissent, s’accroissent les contradictions. »

Elle poursuit, à la même page : « L’exaspération mimétique des rivaux dans l’aggravation du processus, par un mécanisme de doubles, déclenche une furie sacrificielle contre les partenaires.

Page 160, Marie Louise Martinez poursuit sa démonstration :  » La crise des interdits et de la transmission montre la crise endémique indifférenciée, rivalitaire, caractérisée par la disparition des médiations entre l’adulte et le jeune. « L’enfant roi » devient « enfant proie » (Ariès, 1992) proie de ses passions, victime sacrificielle des institutions en crise : la famille, l’école, la justice, le médical, le religieux, l’économie, l’entreprise, etc. Quand la crise s’accroît, le désir devient « métaphysique » (Girard, 1961), la fièvre rivalitaire des doubles évacue l’objet du désir. Mécanismes terribles de rejet du savoir, de la culture, gâchis de l’illettrisme, qui viennent interrompre la transmission. »

Marie Louise Martinez intitule une autre des parties de l’article :  « Le retour d’une différenciation injuste »

Elle y note page 160 : « La dérégulation anomique attaque les consciences individuelles et le lien social selon Durkheim ou Girard : « Dans la vie économique qui constitue la partie la plus importante de la vie sociale moderne, toute relation authentique avec l’aspect qualitatif des objets et des êtres tend à disparaître aussi bien des relations des hommes et des choses que des relations interhumaines, pour être remplacée par une relation médiatisée et dégradée : la relation avec les valeurs d’échange purement quantitatives. Toutes les idoles particulières se résument et se dépassent dans l’idole suprême du monde capitaliste » (Girard, 1961,p. 185).

Elle poursuit, à la même page :  » Girard a mis en lumière un processus fondateur des sociétés : le bouc émissaire, qui canalise et régule par son éviction la violence indifférenciée. Aujourd’hui, l’expulsion opère particulièrement sur les jeunes, à partir de critères sociaux et ethnoracistes excluant de l’accès aux soins, de la connaissance, de l’existence sociale par le travail. Une société qui recule sur la protection instaurée par l’ordonnance de 1958 renonce à la bienveillance éducative à l’égard de la jeunesse, accroît la répression et la pénalisation, dompte la « dangerosité » par une « gestion policière de l’exclusion », souffre d’une forme de régression.

Elle propose cette réponse de fond : « Pour sortir de la réciprocité violente dans la relation éducative, l’attitude responsable consiste à reconnaître le rôle de bouc émissaire des jeunes sans pour autant encourager chez eux l’attitude victimaire (Girard, 2004), chacun se drapant dans la posture de la victime pour mieux s’arroger le droit d’exercer la violence.

Page 162, elle propose, à partir d’Emile Durkheim, cette audacieuse remarque :  » Dans l’ouvrage sur le suicide (Durkheim, 1999), la découverte du balancier s’approfondit : quand les violences institutionnelles qui opèrent une différenciation ségrégative du social baissent, un chaos anomique et indifférenciateur monte. Cette crise a ses effets, quand « l’état de dérèglement ou d’anomie est […] encore renforcé par ce fait que les passions sont moins disciplinées au moment même où elles auraient besoin d’une plus forte discipline » (Durkheim, 1999, p. 281), elle prépare le retour des ségrégations sociales. »

Et elle fait naturellement le lien avec René Girard :  » Girard perçoit l’ensemble dynamique de la mimésis désirante, vers la crise des différences et l’expulsion du bouc émissaire. « Mon hypothèse est mimétique : c’est parce que les hommes s’imitent plus que les animaux, qu’ils ont dû trouver le moyen de pallier une similitude contagieuse susceptible d’entraîner la disparition pure et simple de leur société Ce mécanisme, qui vient réintroduire de la différence là où chacun devenait semblable à l’autre, c’est le sacrifice. L’homme est issu du sacrifice, il est donc fils du religieux. Ce que j’appelle après Freud le meurtre fondateur – à savoir l’immolation d’une victime émissaire, à la fois coupable du désordre et restauratrice de l’ordre – s’est constamment rejoué dans les rites à l’origine de nos institutions » (Girard, 2007, p. 10).

Page 163, Marie Louise Martinez propose une réponse, la médiation externe :  » L’instauration de la bonne distance et de la médiation externe passe par : – les médiations symboliques des codes des savoirs textuels disciplinaires ; – un travail réflexif de l’adulte sur son désir mimétique d’emprise vers l’autolimitation ; – le recours à l’institution avec ses rites d’interaction, ses normes et ses interdits.

Elle poursuit, avec lucidité et  optimisme :  » Aucun fatalisme, biologique, sociologique, psychologique, pulsionnel, ni métaphysique, ne condamne l’homme à la violence, et la mimesis elle-même peut devenir une chance, source et ressource de communication, d’humour, de création artistique, d’apprentissage, de guérison,etc. »

Enfin, elle conclut :  » Pour René Girard, on ne sort de la violence que par la conversion, sorte de lecture critique de nos propres mécanismes mimétiques. Pour Durkheim, le « premier devoir actuellement est de nous faire une morale » (1998, p. 406), qui passe par un travail politique et scientifique sur le lien social, à travers la recherche d’une division du travail social qui ne serait plus livrée au marché et à ses injustices. Aujourd’hui, l’approche anthropologique relationnelle de la personne en éducation, aspire à réunir la déconstruction « de la violence et du sacré » de René Girard, avec la reconstruction du sujet comme personne, cet agir solidaire et réflexif vers lequel Durkheim et Mauss nous ont l’un et l’autre successivement orientés. »

 

 

 

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