L’âge des foules, Serge Moscovici

 

L'âge des foules, Serge Moscovici, bouc émissaire

L’âge des foules (le texte complet), par Serge Moscovici

 

Un extrait (p.156) : « En choisissant un pôle, idole ou bouc émissaire, on élimine flottements, doutes et divergences qui risqueraient de créer des frictions, de disloquer la multitude. Dans l’atmosphère exaltée et chaude de la foule, les douteur s commencent à croire, les indécis deviennent résolus et les modérés, extrêmes. Et ce d’autant qu’on lui a imprimé des sentiments excessifs. Les orateurs lui ont seriné des affirmations outrées, ils l’ont sommée d’acclamer ou de huer une personne définie, ou une idée. La contagion fait le reste : une fois que la foule a commencé à glisser vers un extrême, l’approbation générale donnée à une opinion accroît sa force d’exclure toutes les autres. Les nuances disparaissent au fur et à mesure que la collectivité se polarise »
L’auteur cite ensuite, à la même page, Gustave Le Bon (La Psychologie des foules,p. 25) : « La simplicité et l’exagération des sentiments des foules, déclare Le Bon, les préservent du doute et de l’incertitude. Comme les femmes, elles vont

tout de suite aux extrêmes. Le soupçon énoncé se transforme aussitôt en évidence indiscutable. Un commencement d’antipathie ou de désapprobation qui, chez un individu isolé, resterait peu accentué, devient aussitôt une haine féroce chez l’individu en foule. »
Qu’il commente ainsi (p.156) :  » Aussi curieux que cela puisse paraître , cette proposition également a été confirmée, sous une forme plus sobre, dans le laboratoire. L’explication de Le Bon n’est ni cohérente, ni fondée, rien qu’un ample tissu de préjugés. Mais elle contient une once de vérité : la polarisation chez les foules correspond au besoin d’éviter les doutes et les incertitudes. Elle

permet de retrouver l’unité mentale autour d’un point fixe, en se ralliant à un jugement stable. Fixité et stabilité portent mieux aux extrêmes. »
Page 275, Serge Moscovici évoque, en parlant des « publicistes » : » On ne peut pas éviter une question : à quoi tient la force des publicistes ? A leurs dons d’hypnotiseurs à distance, sans doute. Mais aussi à leur connaissance à la fois intuitive et informée du public. Ils savent ce qu’il aime et ce qu’il déteste. Ils satisfont son impudeur collective et anonyme à voir étalés au grand jour les

sujets les plus inconvenants, malgré la pudeur des individus qui le composent. Ils flattent son penchant à se laisser exciter par l’envie et la haine. Dans le public, le besoin de haïr quelqu’un ou de se déchaîner contre quelque chose, la recherche d’une tête de Turc ou d’un bouc émissaire, correspondrait, selon Tarde, au besoin d’agir sur ce quelqu’un ou ce quelque chose. Susciter l’enthousiasme, la bienveillance, la générosité du public ne mène pas loin, ne le met pas en branle. En revanche, susciter sa haine, voilà qui le passionne et le soulève et lui procure une occasion d’activité.  Lui révéler, lui jeter en pâture un tel objet d’aversion et de scandale (p.276) c’est lui permettre de donner libre cours à sa destructivité latente, à une agressivité, dirions-nous, qui n’attend qu’un signe pour se déclencher. Par conséquent, braquer le public contre un adversaire, un personnage, une idée, est le plus sûr

moyen de se mettre à sa tête et de devenir son roi. Sachant tout cela, les publicistes ne se privent pas de jouer sur ces sentiments, ce qui fait qu’ « en aucun pays, en aucun temps, l’apologétique n’a eu autant de succès que la diffamation ». »
Enfin, page 360, en parlant du Surmoi :  » Il représente l’instance la plus élevée de l’évolution de l’homme, et le garant de toutes ses fonctions sociales, de la religion et de l’idéologie. C’est la voix qui nous remet en mémoire que nous sommes toujours responsables de la survie de notre culture et qui refuse de rejeter sur des boucs émissaires – le milieu, le pouvoir, l’exploitation- ce qui tient à notre nature. »

La note critique de l’ouvrage de Serge Moscovici l’Age des foules que propose la revue française de sociologie en 1983, sur Persée.fr : ici