De la horde à l’État, Eugène ENRIQUEZ, Paris, Gallimard, 1983.

Compte-rendu proposé par Persée : ici

De la horde à l’État eugène enriquez bouc émissaire

Un livre majeur sur la transformation de la violence, y compris par la figure de la victime émissaire, pharmakos ou bouc émissaire

Livre dans lequel il est notamment écrit : « Une organisation pour exister et pour durer a donc besoin de se construire des ennemis. Ennemi extérieur auquel le groupe fera la guerre, ennemi intérieur sous la forme désormais classique du bouc émissaire ou sous celle de la guerre civile ouverte ou larvée (lutte des classes, surveillance de « l’ennemi intérieur »). »

Et aussi : « L’analyse de Totem et tabou avait déjà montré la nécessité de la victime émissaire pour la constitution et la solidification du groupe. Freud souligne maintenant la possibilité pour tout groupe de se créer un nouveau corps d’ennemis en mettant hors groupe ce qui était auparavant en groupe jusqu’au moment où, soit la société s’est totalement détruite elle-même (ne subsiste plus que l’Egocrate tel qu’il a été décrit par Soljénitsyne et Cl. Lefort), soit elle continue à avoir besoin de s’inventer de nouveaux ennemis à l’extérieur, que ceux-ci constituent une menace réelle ou non. »

Et encore : « Freud est resté longtemps le seul penseur à évoquer le rôle de la violence (du crime commis en commun) dans la construction du lien et du corps social. Depuis une quinzaine d’années, ses hypothèses ont acquis droit de cité et innombrables sont actuellement les auteurs qui glosent autour de la notion de violence fondatrice. René Girard est, sans conteste, le plus original d’entre eux. On connaît sa thèse où la violence réciproque est reine tant que la société ne tente pas de sortir du monde des doubles en instituant le sacrifice. La victime émissaire substitue à la violence de tous contre tous, la violence unanime de tous contre un seul, qui fonde la communauté. Violence donc entre frères. Et Girard a raison de recenser dans les mythes et les tragédies les luttes entre les frères. »

Puis, se démarquant de René Girard : « Il faut donc abandonner la thèse de Girard. Non qu’elle soit fausse. Il existe bien une violence entre les frères. Mais elle n’est que la poursuite de la violence vis-à-vis du père, elle-même consécutive à la violence du chef de la horde. Lorsque les frères veulent occuper la place du père, ils entrent en lutte. Lorsqu’ils parviennent à créer la communauté, ils doivent dériver la violence qui les anime les uns contre les autres (car après avoir sacralisé le père ils possèdent de la violence en « surplus ») sur des victimes émissaires. Dans ce cas effectivement le pharmakos, le roi, et surtout les étrangers seront des victimes toutes désignées. N’oublions pas cependant qu’ils ne sauraient suffire à la tâche : la guerre civile est le fond sur lequel se forme toute société – l’autodestruction (l’apocalypse), la tentation permanente de même que pour l’être humain la folie, le suicide, la dépersonnalisation sont là pour témoigner que la cohérence qu’il a lentement conquise peut toujours s’effriter au moment le plus inattendu. »

Et dans son « Chapitre IV. L’antisémitisme nazi. La négation du lien social » : « Cette brève étude n’a donc pas pour ambition d’étudier les rouages complexes de l’État nazi ni de décrire minutieusement les mesures antisémites, et leurs origines historiques ‘, mais simplement de montrer en quoi l’antisémitisme destructeur est une nécessité de la société moderne jusqu’au jour où un autre peuple peut-être prendra la place du bouc émissaire. »